Gilles PICAUT, un voisin, marcheur au long cours
Gilles fait partie des « primo-arrivants » (1985) dans notre quartier des Longs Champs et a participé aux 1ers pas de l’association « Vivre aux Longs Champs ».
Thérapeute, orthophoniste en pédopsychiatrie et depuis peu retraité de 65 ans, Gilles a décidé, après 35 ans d’écoute des autres, de prendre du temps pour lui-même et de se rassembler, tête et jambes, en marchant sur de longues distances.
Un ancien « écoutant » qui prend du temps pour s’écouter
« J’ai toujours aimé la marche et celle-ci a fécondé les décisions importantes de ma vie, car la marche et la pensée vont de pair. La marche solitaire n’exclut pas les randos en groupe ou en couple.
Les chemins de Saint Jacques de Compostelle ont été mes premiers objectifs. C’est d’ailleurs un certain Aymery Picaud (mon aïeul ???), moine poitevin, qui en 1130 rédigea le 1er guide du pèlerin de Saint Jacques. L’histoire de ce chemin mythique, plein de croyances et de fictions, m’intriguait, et ce tout début de retraite me semblait la bonne opportunité pour m’y plonger.
Avril 2013, départ du Puy en Velay jusqu’à Santiago (1700 km) sur une durée de deux mois. Puis en avril 2014, le Chemin d’Arles jusqu’à Pamplona et Irun, 1200 km sur 1 mois et demi.
Si le corps s’habitue à enchaîner les étapes, il faut s’y préparer par de longues randonnées à la journée, avec un sac lourd, car ensuite 25 ou 30 km par jour seront la mesure. La marche rend vulnérable, à la merci des fatigues, des rencontres, des déconvenues aussi et des émotions, tel ce « frisson des départs dans l’allégresse des matins silencieux » évoqué par Xavier Grall.
J’aime partir tôt le matin, éveil du corps, éveil de la nature. Dialogues avec les oiseaux et le coucou, qui me suit et salue chaque jour. Echanges coutumiers avec Khumbu, mon sac à dos qui couine parfois et rechigne ; quelles attentions il demande ! J’ai dû apprendre à respecter son contenu, car il se faisait un malin plaisir à dissimuler mes affaires dans ses multiples poches et faire du bruit au petit matin dans les chambrées. Je l’ai délesté à 2 reprises par colis postal et nous avons bien cohabité ensuite. Belle leçon que de partir léger !
Je marche donc parfois en parlant, en chantant souvent (c’est mon 2e métier) sur les sentiers ou dans les lieux sacrés (82 chapelles ou églises lors de mon 1er trajet, j’ai même osé chanter dans la cathédrale de Santiago). Que de magnifiques sanctuaires sur ces itinéraires-là, dont j’ai parfois dû demander la clef à quelqu’un du village ! Sensations de pierres qui vibrent, résonnent des milliers de voix et sentiments exprimés là depuis des siècles, cris de croyants ou d’incroyants, cris d’espoir ou de révolte ! Que d’harmoniques et d’émotions ressenties dans ces belles acoustiques, parfois partagées, comme avec ces jolies Espagnoles un matin de juin, du côté d’Astorga…
Rencontrer les autres autrement
La marche au long cours permet au corps de s’ouvrir et d’être disponible à la nature et à d’autres couches du réel, dans une certaine jouissance. Question d’hormones, il paraît ! Mais ce plaisir solitaire (heu !) n’exclut pas les rencontres, sur les sentiers ou dans les gites. Liens fugaces parfois, d’autres plus intenses ou durables, tel Edward, Irlandais passionné d’art lyrique qui se cachait derrière les piliers pour m’enregistrer ; Mirabella dont l’insuffisance respiratoire rythmait les pas, à la recherche du beau en Castille ; Lionel, chômeur longue durée, cassé par la vie ;Guy le Calabrais de Draguignan et nos complicités humides sous les orages pyrénéens. Et je n’oublie pas Francis, ancien pilote de ligne, venu faire le vide après avoir parcouru le monde, et désarçonné par la maladie psychique de son épouse. Que cette marche anonyme lui a fait du bien ! Connivence du pas à pas qui fait tomber les masques, authenticité de l’échange. Je n’avais pas ressenti cela avant, en montagne ou sur les GR divers et variés. Particularité troublante de ce Camino là, ce chemin vers le champ d’étoiles (campus stellae). Tous ces êtres éphémères sont mes petites étoiles à moi, qui continueront de briller.
La marche serait Thérapeutique ?
Tout dépend de ce qu’on vient y chercher… Au départ j’ai voulu tout planifier et me rassurer, mais peu à peu la magie de ce chemin m’a happé et j’ai laissé mon corps exprimer ses envies. Quelle liberté de ne rien réserver et de s’arrêter au feeling ! Il y a tant d’offres sur ces chemins de Saint Jacques et tant de villages qui survivent grâce à leur fréquentation (toujours ce business à l’œuvre…). Mon rapport au temps et à l’espace était chamboulé, collé à ce sac pesant, même délesté de l’inutile, mon petit linge séchant parfois sur ses attaches, j’apprenais l’humilité (du latin humus, la terre). Ce désencombrement, au gré du pas à pas lancinant, laisse place à la pensée diffuse, et un état méditatif s’installe peu à peu .Oh ! J’ose parler ici de moments de plénitude et de spiritualité, et il ne s’agit nullement pour moi de religieux ou de mystique, même si j’ai pu rencontrer des gens qui étaient dans ce registre et que je respecte. Je parlerais plutôt d’intériorité, de réceptivité intérieure, que la marche dépouillée procure, dans une nature qui sait offrir ses beaux atours et ouvre au sacré. Et si je poursuis mes pérégrinations c’est sur ce terrain-là !
A l’aube de ma retraite, j’apprécie d’être ainsi déconnecté et de laisser libre cours au déroulé de ma vie, euh ! Enfin, de mes pieds. Mais que le retour à la réalité est ambivalent !
Et Gilles ne s’arrêtera pas de marcher. Son troisième trajet débutera en septembre 2015, sur le « camino de la Plata », de l’Andalousie à la Galice, 1200 km sur cette voie romaine empruntée par les Sarazins pour envahir l’Espagne.
Paysages et histoires qui font rêver d’autres voisins-marcheurs du quartier, dont Jacques H., maître jacquet de Gilles, qui partit du Mont Saint Michel jusqu’à Santiago.
Giao N.